Physical Address

304 North Cardinal St.
Dorchester Center, MA 02124

Sigitas Parulskis, écrivain lituanien : « On ne blanchit pas le passé parce qu’on a appris à le regarder en face »

« Ténèbres et compagnie » (Tamsa ir partneriai), de Sigitas Parulskis, traduit du lituanien par Marielle Vitureau, Agullo, 310 p., 22,50 €, numérique 14 €.
Plus de 220 000 juifs vivaient en Lituanie en juin 1941, début de l’occupation nazie du pays. Ils ne sont plus que 12 000, sur place ou en exil, à la fin de la guerre, 95 % d’entre eux ayant été assassinés, avec l’aide d’une partie de la population locale – entre 13 000 et 15 000 Lituaniens ont servi comme auxiliaires des forces nazies impliquées dans la Shoah. Depuis la demande de pardon formulée en 1995 par le président Algirdas Brazauskas (1932-2010) devant le Parlement israélien, cette complicité dans la destruction des juifs d’Europe a fait l’objet d’une prise de conscience progressive à tous les niveaux, politique, social, intellectuel, artistique, de la vie du pays, qui s’est accélérée dans la dernière décennie.
Sur ce chemin, Ténèbres et compagnie, de Sigitas Parulskis, a représenté une étape importante. Publié en 2012 par le poète, romancier, dramaturge, critique, traducteur et photographe, auteur d’une œuvre abondante, traduite à travers le monde – sauf en France, jusque-là –, il est le premier roman qui ait été consacré à ce sujet en Lituanie, même si celui-ci était déjà présent dans le travail des poètes, en particulier chez Tomas Venclova, et des historiens.
D’une précision glaçante, souvent insoutenable, dans la description des massacres, cette histoire d’un photographe chargé par un officier SS de documenter les actions menées par les troupes nazies et les auxiliaires lituaniens se révèle presque plus troublante encore par sa maîtrise virtuose des changements de registre. Passant du plus atroce des cercles de l’enfer aux sentiments complexes du protagoniste, Vincentas, en particulier à son histoire d’amour avec la jeune juive Judita, le lecteur se retrouve intimement embarqué dans l’horreur, tant Vincentas lui devient familier.
Par cet art de restituer l’inhumanité comme une inflexion de l’humanité, Sigitas Parulskis accomplit avec une puissance explosive son désir initial : réveiller les consciences, au miroir du crime. Retour sur un des romans lituaniens les plus marquants du début du XXIe siècle, avec son auteur, rencontré au salon ArtVilnius’24, où il exposait ses photographies.
Pas du tout. C’était la première fois que je l’abordais. Et je ne l’ai plus abordée depuis. Je ne suis pas historien, ni habitué, comme romancier, à écrire sur l’histoire, qui n’est qu’un décor dans mes livres. Ce qui m’intéresse, c’est l’humain, c’est de savoir comment on se comporte dans une situation particulière. Mais, à ce moment de ma vie, ce livre est devenu une nécessité pour moi. J’avais 25 ans quand la Lituanie est redevenue indépendante [1990]. Sous l’occupation soviétique, on savait très peu de choses sur ce qui s’était passé pendant la deuxième guerre mondiale. Surtout, on ne parlait presque pas de la Shoah. On mentionnait les citoyens soviétiques tués par les nazis, sans préciser qu’il s’agissait essentiellement de juifs.
Il vous reste 65.98% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

en_USEnglish